Francfort, février 2014 : La Conference Pirate « Au delà du clavier »

Une vision «pirate» partagée

logo think twice conferencePirates de tous les pays, unissez-vous ! Si l’expression n’était pas si mal connotée, je l’utiliserais volontiers pour conclure la récente conférence de la mouvance  pirate européenne qui a eu lieu à Francfort sur le Main, fin février 2014 (les 22 et 23).

Cette rencontre a réuni 37 intervenants venus de 14 pays différents, les allemands étant évidemment plus nombreux. On peut trouver quelques éléments biographiques des intervenants sur la page correspondante de la conférence.

Dans le journal en ligne Pirate Times, on peut lire (en anglais) un court compte rendu relativement factuel.

Cette conférence internationale n’a pas seulement renforcé les liens entre les pirates « internationaux ». Elle nous a conforté et dans la justesse de notre perception de la réalité politique et dans la pertinence de nos analyses et de nos propositions.

A partir de la collusion entre l’indignation de quelques citoyens et les facilités (mais aussi les dangers) des technologies de communication numériques, il a été très instructif de retracer le développement et l’expansion d’une mouvance internationale « pirate » devenue entretemps un vecteur de revendications politiques fortes.

L’engagement et la participation des citoyens dans des activités collaboratives augmentent leur pouvoir d’action et leur capacité de décision. C’était une des principales lignes directrices des présentations de l’estonien Meelis Kaldalu (avec Robert Julius Blokker – NL), de l’anglais Samuel Carlisle, ou du polonais Marcin Cieslak.

L’Internet, avec ses libertés et ses facilités de partage et de contournement des règles, s’est muté progressivement d’un simple instrument de résistance en un moyen indispensable à la défense des droits individuels. Des réseaux décentralisés et des outils adaptés de cryptographie permettent de mieux échapper à la surveillance généralisée et aux tendances de « nationalisation » des réseaux par certains pouvoirs étatiques. Divers technologies permettent également de protéger les lanceurs d’alerte, en garantissant leur anonymat. Ces sujets étaient au cœur des interventions de l’italien Claudio Agosti et de l’allemand Guido Strack. Des solutions techniques permettant la conservation du secret de la correspondance à l’ère numérique ont été présentés par l’allemand Carlo von LynX et des moyens à réduire la vulnérabilité de nos terminaux mobiles par le suisse Denis Simonet. Les dangers que représente l’utilisation peu réglementée et/ou pas assez transparente des drones, ont été soulignés par le russe Konstantin Ostrovski et l’allemand Martin Kliehm.

Les présentations les plus en accord avec le sous-titre de la conférence « Au-delà du clavier » ont concerné des sujets plus politiques. Sur le fond de la question de la dissuasion nucléaire, Annette Schapper (DE) s’est penchée sur le lien entre la stratégie et le secret ainsi que les différents niveaux de justification sous-jacents. Marco van Hulten (NL) a argumenté de la nécessité d’une nouvelle gouvernance mondiale, insistant sur la difficulté à mettre en place des institutions démocratiques de cette taille, capables d’affronter les défis globaux : climat, eau, alimentation, matières premières.

En ce qui concerne l‘économie, des argumentaires implacables ont souligné l’importance de changer de perspective concernant quelques briques de base de son fonctionnement actuel : le travail, la monnaie, la régulation par les taxes et les différents systèmes de protection et de monopole, dont les brevets et le droit d’auteur. L’allemand Arne Pfeilsticker remarque que dans un monde où le travail est de plus en plus rare, le droit au travail n’est plus assurable pour tout le monde et que la question d’un revenu de base inconditionnel permettant à chaque citoyen une vie décente et une participation à la vie commune doit non seulement se poser mais être envisagée sérieusement. Par un choix judicieux de modification des taxes, un tel système peut même fonctionner, argumente Verena Nedden (DE). Arne Pfeilsticker milite également pour une profonde réforme des systèmes monétaires, conduisant à faire des monnaies de vrais outils d’échange et de croissance dans l’économie réelle. En prenant appui sur les tendances issues du développement des logiciels libres, le belge Koen De Voegt prône l’élargissement de ces modèles économiques favorisant l’innovation. Insistant sur le caractère obsolète des réglementations concernant les œuvres de l’esprit, le suisse Christoph Zimermmann démontre comment un accès plus ouvert aux œuvres favoriserait la créativité.

Des sujets liés à la démocratie, aux partis politiques en général et aux partis pirates en particulier ont été largement abordés.

Le belge Paul Nollen a souligné la nécessité de changer les systèmes « particratiques » représentatifs traditionnels en des systèmes politiques dotés d’un équilibre transparent et plus subtil des pouvoirs, donnant aux citoyens la capacité d’initiative législative et des possibilités à influer sur les sujets abordés ainsi que sur les priorités traités par les institutions. L’allemande Martina Pöser a insisté sur le besoin de créer  de conditions « inconfortables » aux partis représentés, en les obligeant à des coalitions inhabituelles et changeantes, favorisant l’émergence de solutions innovantes. L’espagnol Pablo Segundo Garcia nous a présenté un outil de démocratie participative et liquide qui a prouvé son efficacité et qui a déjà été utilisé par quelques élus en Espagne. En marge de ce sujet nous nous sommes demandé si le mouvement pirate devrait rester qu’une force d’influence sur la vie politique ou s’engager au fond dans des processus électoraux pour accéder au pouvoir ? Nous pensons qu’il faudrait agir sur les deux plans. Par ailleurs, à ce sujet, le polonais Radek Pietron a insisté sur le fait que les mouvements pirates doivent devenir des exemples à suivre pour tous les autres mouvements contestataires et rester exemplaires dans leurs attitudes et leurs manières de fonctionner. Le luxembourgeois Jerry Weyer et le franco-allemand Gilles Bordelais ont présenté « la petite avancée démocratique » que constitue la mise en place récente de l’initiative citoyenne européenne (ECI).

La question vitale du financement de la vie politique et particulièrement le rôle du financement public des partis politiques a été soulevée par le thèque Marcel Kolaja. Il a non seulement abordé le sujet par les aspects éthiques (et ceux liés au besoin de transparence), mais il a également essayé de définir un périmètre au modèle économique d’un parti.

Comment faire pour être visibles et lisibles dans le paysage politique et médiatique ? Le suisse Guillaume Saouli a partagé avec nous les résultats obtenus par son parti. Quelques messages simples et pertinents (ce qu’est un parti pirate, ses valeurs, son fonctionnement et ce qu’il peut faire pour les citoyens) et une campagne de communication bien préparée ont réussi à les sortir de l’ombre.

L’allemand Robert Stein-Holzheim a insisté sur le fait qu’il faut que l’on soit capable à dépasser notre dimension protestataire et proposer à la société civile une vision qu’elle soit apte à accepter et à partager. Ce que l’on pourrait faire de mieux c’est de développer un cadre conceptuel (et technologique) permettant aux citoyens de contribuer à ce que notre société devienne plus libre, plus juste, plus créative et plus durable. D‘après Paul Nollen, on devrait agir sur deux fronts : participer aux élections avec des programmes centrés sur les fondamentaux et, entre les élections, travailler avec la société civile, plus en profondeur et d’une manière plus détaillée, sur des sujets concrets et stratégiques.

Moi, Didier Urschitz (FR), j’ai souhaité partager mes impressions concernant les avantages des partis pirates par rapport aux autres mouvements contestataires et/ou révolutionnaires.

Il y a d’abord la tribu pirate. Les gens qui en font partie sont curieux, motivés, ouverts d’esprit. Ils proviennent de différents pays et cultures et parlent plusieurs langues. Leurs capacités à apprendre et à partager sont démultipliées par l’internet. Ces qualités sont nécessaires pour innover en politique ; mais pas suffisantes ! Le plus important c’est d’apprendre à apprendre en équipe et à travailler en équipe. Les envies et des outils sont là : par exemple redmine, liquid feedback, les wikis, les pads… et il faudrait en inventer d’autres. Ce qui manque c’est de l’organisation et un peu (!) de discipline. Les partis pirates doivent devenir des organisations apprenantes efficaces, ainsi l’intelligence des équipes pourrait dépasser celle de ses membres. La maitrise personnelle des pirates conjuguée à la remise en question des modèles et de schémas mentaux habituels nous permettra non seulement de comprendre des phénomènes dans leur intégralité, mais d’anticiper les conséquences de nos décisions et de proposer, avant les autres, des solutions innovantes et durables.

Ce qu’on doit développer d’avantage c’est l’ouverture des partis pirates vers la société civile en général. Offrir par exemple du conseil et de la formation sur les outils numériques à toutes les personnes qui, par crainte ou méconnaissance les évitent. Ou, partager des éléments, très pédagogiques et intuitifs, permettant de comprendre des réalités socio politiques et économiques. Pourquoi ne pas créer une université pirate en ligne ?

Et enfin, il faudrait être différents des autres partis et mouvements. Par réputation d’abord, mais pas seulement. Si nous voulons réussir, nous devons faire et mieux et plus vite. Pour transférer rapidement toutes les bonnes idées, voire les solutions qui marchent, d’un niveau local à un autre, ou entre les différents pays, ou d’un niveau local à un niveau régional ou européen, il va falloir développer des capacités de veille et synthèse ainsi que la traduction réciproque des sujets qui le méritent. Un bon début serait l’édition, par chaque parti pirate, des éléments pertinents son site, au moins dans les langues de ses voisins. En parcourant divers pages et sites pirates nous nous sommes déjà tous aperçu de la multiplicité de traitements des mêmes sujets. En première vue, tout ceci était bien rassurant et la diversité des éclairages permet aux idées créatives de mieux émerger. Mais pour devenir davantage efficaces et percutants, nous devons être capables de concentrer nos efforts en économisant notre énergie.

DU au musée Städel(en image, moi au Musée Städel)

Nous attendons avec impatience l’édition suivante !

Qui est Didier ?

J’ai 59 ans et je suis physicien et enseignant dans une école d’ingénieurs du numérique. Je vis à Lille depuis plus d’une dizaine d’années. Auparavant, j’ai travaillé à Paris dans une grande école du cinéma français, et, durant les années quatre-vingt dix, en Bretagne, notamment à Rennes. Né en Roumanie, avec une mère de langue maternelle hongroise et un père de langue « paternelle » allemande (car sa famille était d’origine autrichienne), j’ai grandi à Arad et j’ai fait mes études dans la ville universitaire de Cluj. Les aspects multiculturels font ainsi parti de mes gênes. C’est donc dans la ville de Cluj – Napoca que j’ai commencé mon activité professionnelle, dans un laboratoire de contrôle de la qualité (contrôle non destructif plus précisément) d’une grande usine métallurgique. Mes principales valeurs sont la liberté, celle individuelle exercée en respectant celle des autres, et la solidarité, défendue et assurée par un état de droit. Par ailleurs, je me reconnais bien dans les valeurs présentées par le Parti Pirate Belge. Si on y jette un regard, on remarque quelques valeurs audacieuses et un peu moins habituelles : cosmopolitisme, partage, objectivité… Lire la suite...

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