La démocratie fluide rendra notre démocratie plus solide ?

allégorie de la démocratie liquideLe déclin de l’intérêt des citoyens pour la démocratie représentative ne date pas de d’aujourd’hui…

C’est une constante de ces dernières décennies. Outre les politiques eux mêmes, cette tendance a attiré l’attention de nombreux chercheurs et de quelques institutions officielles.

Comme, par exemple, au Forum mondial de la démocratie 2013, organisé à Strasbourg par le Conseil de l’Europe, qui s’est proposé comme sujet «Exploiter le web comme outil de démocratie : nouvelles pistes pour l’étude et la pratique de la démocratie numérique»

On peut y consulter un document de réflexion qui a été élaboré par la chercheuse anglaise Amanda Clarke, de l’Université d’Oxford : «Quel rôle joue internet dans une démocratie à l’heure où de nombreuses activités démocratiques « hors ligne » sont en déclin ?» Dans l’introduction, elle écrit :

« La démocratie est‐elle en déclin ? Les taux de participation aux élections diminuent, les partis peinent à attirer de nouveaux membres et les citoyens sont nombreux à exprimer leur méfiance à l’égard des institutions politiques. Dans un tel contexte, il serait pour le moins difficile de conclure à la bonne santé de la démocratie, mais il est tout aussi difficile d’affirmer qu’elle est en péril alors que les citoyens parlent de politique sur internet au quotidien, que les technologies numériques offrent à chacun de nouvelles possibilités de contribuer aux travaux des institutions politiques, que des pétitions en ligne recueillent des millions de signatures et que les réseaux sociaux sont utilisés pour coordonner de gigantesques manifestations. Les activités « traditionnelles » associées à la démocratie représentative sont certes en déclin, mais ce déclin peut être compensé ou inversé grâce à la démocratie numérique apparue ces dernières années.»

Amanda Clarke

Depuis la «démocratisation»de l’internet, les attentes et les espoirs exprimés concernant son influence sur l’amélioration des pratiques démocratiques n’ont pas été vraiment satisfaits ni assez pris en compte. Dans le monde politique, on a ignoré que le potentiel optimal de l’internet et des technologies numériques se développent en général quand on repense d’anciennes fonctions et institutions en créant des nouvelles : le monde économique l’a prouvé avec brio. On s’est cantonné à analyser des activités politiques «classiques» hors ligne dans leurs versions «numériques».

Mais, nous les citoyens, nous avons osé et nous avons appris à faire de la politique hors les espaces politiques dédiés.

Nous avons appris à collaborer et à développer des pratiques d’externalisation ouverte (crowdsourcing et funding par exemple), comme le développement du logiciel libre.

Nous avons appris à utiliser internet comme un espace  de recherche, comme un instrument d’étude et comme un moyen de pression et d’évaluation des acteurs politiques traditionnels.

Dans le même temps, la possibilité d’une surveillance omniprésente nous dissuade de nous engager ouvertement et de nous impliquer d’avantage.

Enfin, nous ne sommes pas tous égaux devant les technologies numériques ; il faut tenir compte que nous ne sommes pas tous des «digital natives» et qu’il existe une forte inégalité en ce qui concerne notre capacité à utiliser ces technologies.

L’engagement démocratique n’est plus le monopole des institutions traditionnelles et le monde numérique, avec ses possibilités et ses règles (ou absence de règles !) nous offre de nouveaux modes de participation !

En plus de l’utilisation massive des technologies internet, à la recherche de modèles alternatifs de démocratie, certaines organisations, et occurrence les partis pirate, se sont également inspirés des théories de la sociologie des organisations, notamment d’un type particulier d’organisation, l’adhocratie, développé par Henry Mintzberg (son site perso en anglais). 

Je cite de l’article Wikipédia concernant l’adhocratie (nom utilisé par opposition à la bureaucratie) :

«Dans ce modèle, chacun est supposé avoir intégré l’intérêt collectif et parler en son nom. Les décisions sont prises par des individus informés des objectifs stratégiques. Ils sont investis d’une part de responsabilité pour atteindre ces derniers. Les décisions encadrées par des principes d’action remplacent les règles et procédures trop rigides. En effet, dans cette structure, les informations et les processus de décision circulent de façon flexible et informelle pour promouvoir l’innovation. Ceci a pour conséquence le débordement de la structure d’autorité quand il le faut.

Pour ainsi faciliter ce travail d’équipe, la structure adhocratique préconise un fonctionnement matriciel : un groupement par fonction pour des tâches inhérentes à la structure (recrutement, communication professionnelle…) et un groupement pluridisciplinaire pour la menée de projet.

Dans la mesure où elle s’appuie sur des experts qui ont reçu une formation poussée, l’adhocratie est décentralisée. Le but recherché est alors d’éviter que le pouvoir d’innover ne soit trop concentré dans les mêmes mains. L’ensemble de ces dispositions vise un but essentiel : favoriser au maximum l’innovation, c’est-à-dire s’engager dans un effort de création pour trouver une solution nouvelle.»

 

Le parti pirate allemand a instauré un mode décentralisé de fonctionnement, appelé «démocratie liquide» (en français «démocratie fluide»serait plus pertinent). Ce mode de fonctionnement a été repris par la majorité des partis pirates.

Cette forme de démocratie est basée sur la volonté de trouver des solutions selon les suggestions des adhérents. Encore faut il qu’il y ait des suggestions concernant un problème posé. Cela marche quand les militants sont actifs, réactifs et créatifs. Et, disons le, honnêtes. Les limites du système sont là…..

On peut lire, en complément, une courte description ludique du fonctionnement pirate, par Pierre-Alexandre Charrier.

La démocratie liquide a fait également des émules hors des partis pirates, en Italie. A regarder l’article «La démocratie liquide, ça vous dit ?» dans le Courrier International (septembre 2012).

«La plupart des partis Pirates européens l’ont adopté, le mouvement populaire du comique italien Beppe Grillo songe à s’y mettre : le logiciel libre LiquidFeedback* permet aux organisations de prendre toutes les décisions par référendum ou par vote. Démocratie directe ? Mieux : « démocratie liquide ». Explications.»

Pour comprendre le terme « LiquidFeedback », voir la note en bas de page.

Le sujet a attiré également l’attention de l’économiste canadien Ianik Marcil, qui, dans un article intitulé «Démocratie liquide» (Multitudes 2012/3 – n° 50), met en avant le potentiel novateur de cette démarche. Voici le résumé de son article :

«Les soulèvements d’étudiants canadiens ne se contentent pas d’occuper les rues. Ils stimulent aussi l’émergence de modèles alternatifs de démocratie, comme la « démocratie liquide ». Celle-ci consiste à recourir régulièrement à des consultations populaires (sous forme de référendums, par exemple) sur des enjeux majeurs, avec la possibilité de transférer son vote à quelqu’un d’autre. De quoi raviver nos institutions sclérosées ?»

 

les pirates allemands expliquent la démocratie liquideAlors comment ça marche cette «démocratie liquide» ? Laissons deux pirates allemands (Martin Dellus et Alexander Morlang) nous l’expliquer dans une vidéo sous-titrée en français (5 minutes ; sur youtube).

 

lab-jochman-me- dem liq

 

Une présentation encore plus intéressante, permettant de comprendre les différences entre la démocratie directe et la démocratie indirecte ainsi que la façon dont la démocratie «fluide» permet de «naviguer» entre ces deux formes de démocratie, a été publié par le créateur allemand  Jakob Jochman ;  la présentation (en anglais, 5 minutes) est disponible sur youtube, mais également sur son site (d’où on peut le télécharger).

Alors quelle conclusion pour nous ?

Les institutions politiques doivent intégrer la démocratie participative, la démocratie fluide, à tous les niveaux de décision.

Nous, les citoyens, nous devons continuer à nous emparer de l’espace publique et numérique et à apprendre comment nous assembler autour des sujets qui nous divisent ! Nous devons perfectionner la représentation des controverses et la construction de l’arène des débats qui nous disputent.

_______ (sur liquid feedback sur le site du pirate français)_______

*LiquidFeedback est un outil développé et utilisé par le PP allemand depuis 2009, qui est une proposition d’implémentation des principes de la « Démocratie Liquide ». Il est aussi utilisé en Autriche, en Suisse, en Suède, au Brésil…

Le point d’entrée de LiquidFeedback sont ses domaines (ou thèmes), comme « économie, social » ou « statuts et règlement intérieur »…Chaque domaine regroupe des sujets de débats, chacun appelant à un vote. Les utilisateurs peuvent débattre au sein même du sujet ou sur un outil externe dont l’URL sera mentionnée dans le sujet. Enfin, pour chaque sujet on trouvera une ou plusieurs initiatives qui peuvent s’affronter, chacune étant une réponse différente au sujet/débat.

LiquidFeedback n’est pas une véritable implémentation de démocratie liquide, car cet outil ne permet pas le secret du scrutin. Le secret du scrutin étant une condition à l’expression démocratique citoyenne (pour éviter les intimidation et l’achat de voix), cet outil ne peut être utilisé que pour des consultations sur des groupes particuliers (par exemple les adhérents du Parti Pirate dont on pense qu’ils sont moins sujets à l’intimidation et l’achat de voix).

 

 

Quelque réflexions critiques sur le sujet, en anglais et en allemand :

http://opengov.newschallenge.org/open/open-government/submission/directcongress.org-we-the-people-can-direct-our-congress-by-selecting-america-s-laws-/

http://www.directdemocracyus.net/liquid-democracy-perishable-too/

https://www.tageswoche.ch/%20axopx

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qui est Didier ?

J’ai 59 ans et je suis physicien et enseignant dans une école d’ingénieurs du numérique. Je vis à Lille depuis plus d’une dizaine d’années. Auparavant, j’ai travaillé à Paris dans une grande école du cinéma français, et, durant les années quatre-vingt dix, en Bretagne, notamment à Rennes. Né en Roumanie, avec une mère de langue maternelle hongroise et un père de langue « paternelle » allemande (car sa famille était d’origine autrichienne), j’ai grandi à Arad et j’ai fait mes études dans la ville universitaire de Cluj. Les aspects multiculturels font ainsi parti de mes gênes. C’est donc dans la ville de Cluj – Napoca que j’ai commencé mon activité professionnelle, dans un laboratoire de contrôle de la qualité (contrôle non destructif plus précisément) d’une grande usine métallurgique. Mes principales valeurs sont la liberté, celle individuelle exercée en respectant celle des autres, et la solidarité, défendue et assurée par un état de droit. Par ailleurs, je me reconnais bien dans les valeurs présentées par le Parti Pirate Belge. Si on y jette un regard, on remarque quelques valeurs audacieuses et un peu moins habituelles : cosmopolitisme, partage, objectivité… Lire la suite...

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