Sur les cyberespaces

Nous vivons ici et maintenant.

image satellite trafiquéeIci, c’est cette fine couche d’air, de terre et de d’eau, propice à la vie, située à la surface de notre planète. La part terrestre habitable représente environ un quart, les eaux territoriales encore un quart et les eaux internationales (la haute mer, comme on la désigne souvent) couvrent environ la moitié restante de la surface planétaire.

La relative fragilité de notre cadre de vie devrait nous concerner d’avantage ! Pourrions-nous y vivre dans la dignité, en harmonie avec toutes les formes de vie, végétales et animales ? Saurions nous diminuer note emprise chimique sur l’environnement,  sur les êtres vivants en général ? Entre théories utopistes (par exemple : réduire la population mondiale d’un facteur 20) et le pragmatisme de la croissance économique, assez catastrophique en ce qui concerne l’impact sur nos écosystèmes, quels sont les choix politiques à faire ?

On pourrait par exemple commencer par déclarer comme bien commun de l’humanité l’air, l’eau, les sous-sols, la haute mer et en taxer (symboliquement) tout prélèvement, prévoyant une fiscalité dissuasive pour toutes les actions contribuant à leur endommagement et d’avantage encore concernant leur destruction.

Les états qui se partagent ce « territoire » se constituent en grands espaces économiques très interconnectés et droit international régit les relations entre eux. La mondialisation résulte de cette interdépendance croissante des économies et l’expansion des échanges et des interactions humaines. Le volume des personnes, de biens et de valeurs en mouvement ainsi que la vitesse des déplacements sont en croissance continue. Jusqu’où ? Jusque quand ?

Durant toute notre histoire, l’espace a été une composante stratégique de la puissance des états (d’ailleurs on le perçoit très bien : notre histoire a été conditionnée par la géographie). Jusqu’à l’époque contemporaine, les nouvelles conquêtes (empires, colonies, marchés, satellites,…) ont toujours été spatiales.

réseaux mondial schéma du territoires et cyberespaceDepuis peu, dans la catégorie « territoires », il y a un nouveau venu très différent. Ce n’est pas une « zone », et encore moins « un état » ou une « confédération ». Il paraît infini, il n’a pas de frontières et il n’est pas historiquement et culturellement constitué, donc accepté comme tel par tout le monde. C’est l’espace numérique, ou le cyberespace comme on l’appelle parfois. C’est « un espace » de l’instantanée ! Et sa caractéristique la plus dissonante c’est que c’est un espace de tellement de juridictions, de lois et de contrats, qu’il parait un espace de non droit, voire, pour certains un espace de tous les droits.

Comme le définit Pierre Musso :

Il s’agit à la fois de l’univers de l’internet, de l’ensemble des systèmes d’information, des organisations et des systèmes automatiques de commande et de surveillance des activités dans ce cyberespace.

 

Pour beaucoup d’entre nous cet espace paraissait d’abord une zone d’échange et de partage. C’est ici que nous avons découvert le « libre », que l’on doit protéger aujourd’hui par le «CC» et le « gratuit », qui s’avère plus créateur de bénéfices que jamais.

Pour pouvoir s’articuler harmonieusement avec nos vrais espaces, il faut qu’il devienne un espace de droit ! Il va falloir repenser en profondeur beaucoup de notions et liens de causalité auxquels nous sommes habitués et en inventer de nouveaux.

Pour commencer, il faudrait le doter de quelques attributs pertinents, en y transposant quelques concepts connus, comme par exemple le cadastre, la fiscalité, pour ne pas citer que les plus évidentes. Et nous devons répondre au désir universel auquel il a donné naissance : qu’il reste un espace libre et ouvert, collaboratif et participatif, favorable au développement de notre l’intelligence collective !

Je finirais ces quelques propos avec deux citations du dossier « Critique de la notion de territoires numériques » du Professeur Pierre Musso (paru dans la revue Quaderni, 2008, 66, pp. 15-29)

Le cyberespace est un espace de télé-actions et de télé-rencontres « déterritorialisé » dans le sens où seules demeurent les représentations, les imaginaires et les « cartes mentales » des acteurs. Le cyberespace obéit ainsi à une socio – logique au sens fort du terme, avec des hiérarchies établies sur la réputation et l’image. L’indicateur d’autorité est la crédibilité et la vraisemblance, alors que sur le territoire physique c’est l’institution politico-administrative qui est censée dire le vrai et le droit.

 

Il serait salutaire de déplacer le questionnement ; non plus concevoir des territoires numériques considérés comme des espaces dotés de réseaux toujours plus high-tech et à très haut débit, mais comprendre et développer la grammaire et les logiques du seul territoire réellement « numérique » qu’est le cyberespace dont internet est la composante la plus visible et les systèmes d’information la plus stratégique.

 

Pour approfondir

a) un billet de siltaar, paru en octobre 2010, toujours d’actualité

« Sir » Tim Berners-Lee, le père du Web, a livré ce week-end au magazine Scientific American, une analyse complète lucide et accessible des menaces qui pèsent aujourd’hui sur ce curieux phénomène qui depuis vingt ans a changé la face du monde : Internet.

En termes simples, Berners-Lee revient sur l’universalité de ce réseau, qui n’a pu se développer que grâces à des conditions initiales propices :

Une technique simple et libre, donc bidouillable par chacun dans son coin ;

Une conception décentralisée, permettant une croissance tous azimuts ;

Le principe de neutralité du réseau, qui permet à tous de proposer du contenu.

Or, force est de constater que ces conditions, qui ont démarqué ce que nous appelons aujourd’hui « Internet » des autres tentatives de mise en réseau à grande échelle d’ordinateurs de par le monde, sont attaquées et mises en péril par de grandes entreprises, et, presque comme une conséquence par de nombreux gouvernements.

 

la métamopphose numérique cover

b) un livre, paru en 2013, abordant les perspectives et les points de vigilance de la métamorphose numérique : « La métamorphose numérique : vers une société de la connaissance et de la coopération »

Je vais en citer juste quelques phrases ; d’abord de l’introduction :

Le monde connaît aujourd’hui un développement sans précédent du fait des technologies de l’information et de la communication. Le numérique (Internet, réseaux sociaux, informatique, etc.) est un formidable espace de relations, de jeux et de questionnements, un eldorado pour tous les types d’innovation… Mais il peut être aussi l’amplificateur du côté sombre de notre société en termes de vie privée, de comportements collectifs, de désinformation et de ma­nipulation.

 

Le numérique est donc plus qu’une technologie magique qui abolit les distances et le temps et nous permet d’accéder à des connais­sances sans limite. Il est en train de métamorphoser notre société, son économie, ses liens sociaux, jusqu’aux bases cognitives et psy­chologiques de l’être humain.

 

puis des conclusions :

Le numérique nous offre des océans de connaissance à naviguer et qu’il nous faut explorer et apprivoiser. Cette connaissance et les modèles numériques associés nous permettent de simuler, de jouer et de prévoir.

 

C’est un des potentiels du numérique que d’étendre les capacités de l’humain pour accéder, visualiser et simuler l’avenir, le passé le présent ou le virtuel. Mais le numérique peut aussi infliger l’omniprésence du passé ; enfermer dans le virtuel ou nous inciter à refuser l’expérientiel, la simulation permettant de jouer les avenirs et de dispenser du risque du futur.

 

Le numérique permet d’amplifier les sens, de leur donner des capacités d’interaction à distance, de travailler sur les formes, les couleurs, les sons, d’ouvrir de nouvelles portes d’accès à la beauté. Il peut aussi nous enfermer, nous déformer, nous perdre dans les méandres du virtuel, de la fascination, de l’isolation régressive.

 

Le numérique joue comme un amplificateur, un outil de modélisation, d’exploration, d’extraction d’information et de connaissance au service des activités humaines et du progrès scientifique et technique. Le numérique c’est aussi un outil de construction d’un monde artefactuel d’objets de service enveloppants, protecteurs mais isolants de monde physique et de l’univers, et au-delà. La démultiplication des projets, des identités, des réseaux d’appartenance construit un nouveau monde dense, attirant, qui pourrait confiner l’homme dans une bulle et lui faire perdre ses attaches et racines, et ses capacités de projection et d’inscription dans l’univers.

 

Nous sommes sur le point de donner à ces machines le don de l’apprentissage, d’intelligence, de sentiments et de conscience réflexive, et donc le potentiel d’autonomie. Ces machines vont tapisser notre environnement, travailler en réseau, dialoguer avec nous et devenir nos compagnons de coévolution, les hommes évoluant avec les hommes,  les hommes évoluant avec les machines, les machines avec les hommes, les machines entre elles.

 

La percée vers les deux infinis, grand et petit, nous questionne sur la multitude, le numérique y ajoute la complexité de l’espace et du temps contournés. La hiérarchie, dans l’espace public, dans l’espace de l’entreprise et des administrations, de la cité ou de la nation, s’en trouve affaiblie du fait de la diversité multidimensionnelle des relations. Et pas à pas s’établissent les conditions de relations entre égaux, dont les seules limitations seront celles de la confiance en soi et la défiance des autres.

 

Il contribue à intensifier le temps, il peut intensifier les comparaisons, les compétitions, accumuler au travers des contenus les pressions désirantes et les énergies négatives et de frustration ? C’est une grande responsabilité pour l’avenir de développer les éthiques, les règles et l’éducation, pour que le numérique ne nous amène pas dans les comportements dénoncés par ses détracteurs et soit un vecteur d’expression de la bonté, de l’écoute et de l’indulgence, entre humains.

 

 

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